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L’el d’Orado Bel Younech Chroniqueur sans papiers la jungle gaza publiez zoom calendario
Bel Younech on ne sait pas toujours quoi faire quand le printemps s’avance titubantcomme un abruti le nez rouge ivre d’hiver et de tremblement d’aube dans les montagnes on ne sait pas quoi faire dans les rues de Tanger quand la douleur des enfants nus nous éternue à la figureet que les flics ramassent la migration des hommes comme les feuilles mortes sur le pas de la porte des maisons riches on ne sait pas quoi faire de ses mains de son cœur de sa têteon a honte quelque part de marcher dans ces chaussures de bouger dans ces vêtementsde se nourrir à la table de ce restaurantde respirer cet air qui chauffe peu à peu quand le soleil s’empare de la baiefait miroiter la maudite Europe comme un bijou voléon a honte de cette facilité de rire de ce retour bientôtdans cette maison pleine de lumière de couvertures de velours et de livreson ne sait pas quoi faire de ses bras sur quoi les refermer et les mots les mots qui ne sont que souffles entre nous et qui sont larmes de couteau pour eux que faut-il en faire on ne sait pas quoi faire à danser le tango sur cette planète où si peu d’homme sont à manger si peu d’hommes ont tout pour tant d’autres à quile corps les mains le pain les rêvessont refusésau hasard des frontières et dans les cauchemars abscons des Etatsils ont tracé une ligne fantastiqueséparé les vagues hérissé les valléestruffé les plages de pièges à loupc’est leur façon de voir le mondeils sont bien là-dedansau milieu de ces cris de ces tours de gué de ces naufragesjuchés sur leur argent sur leur pouvoir un sceptre de mensonges profondément enfoncé dans le culon ne sait pas quoi faire quand un jeune homme venu de Casablanca dévoile soudain ses blessures et que son cœur aux hanches de larmessoudain s’exhibe pour un geste qu’on a eu un repas un sourire il a vécu trois ans en Italie tu saiscomme un enfant un vrai on l’écoutait on le consolait on lui racontait des histoires le soiret puis il est devenu adulte il a passé cette autre frontière imaginaireque manufacturent les Etats et le lendemain de cet événement imaginaire luin’avait pas changéil avait toujours ce cœurce visage ces rêvesmais on l’a rayé menotté renvoyé dans le port de Tangeroù depuisoù depuisdepuis depuis il se traîne dans la peur la poussière et parmi les violsles coups de matraque les gifles et la faim sans avoir rien compris à ce qu’on lui voulait et puis un jour c’était un mardi on est allé dans une forêtsur la route du nouveau port à cinquante kilomètres dans la montagne mon Dieu la montagne la montagne rousse bruissante craquante la superbe montagne comme une chamelle enceinte de ce pays trop beau pour faire autre chose que du miel il y avait un petit sentier qui grimpait parmi les herbes piquantes les buissons secs le tendre crissement du vent et le ciel épaule nue d’une femme sans lisièresle sentier tout à coup serpentait plongeait ruisselant d’une eau rareet lumineuse collier de pierreries dansantes et puis des hommes qu’on croisait avec des pelles des bidons des bouts de quelque chose avec des regards lents et interrogateurs des hommes tranquilles sans obsession sans fièvre sans convoitisedes hommes qui dégageaient la route des bois morts et dessouvenirs de sang ces hommes on les a vus ils étaient combien cinquante peut-être centils formaient un cercle autour des visiteurs ils offraient des sièges sur des troncs d’arbre des bancs de branchagesils avaient les yeux grands ouverts c’était beauc’était une assemblée humaine dans la forêtd’hommes venus des deux côtés opposés de cette frontière tatouée par les Etats sur la peau des hommeset abolie effacée gommée au moins pour un momentils ont montré les cabanes les tentes de plastique déchiré les haillonsde leurs abris de leurs rêvesils avaient l’air fatiguéet moimoi sous ce ciel épaule de femme qui pleureje me suis senti plus humain dans cette forêt que partout ailleurset comme je les écoutais raconter des histoires de soldatsde meurtres de guerre de ruine de désastrecomme j’écoutais la voix calme et splendide de l’humanité qui me parlaitdes hommes comme je croyais entendre les aboiements des troupes marocaines dans les alentours le claquement des bottines militaires encerclant la forêtcomme on circonviendrait une épidémie d’hommesje me suis senti plus humain que jamais et comme je leur parlais de ce que moi peut-êtreet d’autres peut-êtrepourrions faire pour les défendrepour leur signifier qu’ils sont des hommes avec nous et que je les entendais me remercier je pensais que jamais jamais je ne pourrais leur rendre un centième du cadeauqu’ils venaient de me faire il faisait chaud les mouches fabriquant des tourbillons noirs et grondants autour de nous la montagne immense croupe d’éternité de terre rouge d’arbres durset les colliers des rivières minces et fragiles comme les rêves se quitter j’aurais voulu rester avec vous là dans cette forêt lieu d’humanité comme nulle part ailleursje n’ai plus les détails de notre discussion de combatce n’est pas l’objet de mon poèmece sont leurs visages qui se penchaient leurs yeux calmes à ces hommes que le hasard et l’extravagante manie des Etatsont voué au malheurces yeux qui regardaient une Europe probablement rêvéecomme j’aimerais faire le même rêve qu’euxtout compte fait pourquoi pas et puis je n’ai jamais quitté cette forêt tout compte faitje suis resté avec vous hommes et femmes de Bel Younechqui avez fait brûler mon humanité dans l’air frissonnant de la montagne et puis Bruxellesavec le même printemps abruti et sournoisj’ai parlé de vous à plein de gens les amis etles autres j’ai entendu ce n’est pas nouveau tu débarques ou quoi toute la misère du mondeil y a pire on n’y peut rien etc cette litanie insipide de conneries qui traînent comme des merdes de chien sur les trottoirs de cette pauvre ville où l’humanité se cache si bienmoi j’avais rencontré des hommeson m’a servi des analyses des considérations des contextes moi j’avais rencontré des hommeson m’a fait valoir des réalismes des situations économiques des politiques migratoiresmoi j’avais rencontré des hommesqu’il n’est pas question pour moi d’oublier de perdre de vue de quitter des yeux une seule seconde comme si j’allais perdre ma propre humanité de vueles gars soyons raisonnables de la seule raison possible celle des hommes et comme je ne suis pas le messie ni un dirigeant historique ni un intellectuel prestigieux ni un dignitaire religieux ni un sportif en mal de cause humanitaire comme je ne suis que moi et que je ne peux pas me payer le luxe de me séparerde mon humanitéje vais rester avec vousCissé Pasteur Bernard Camara Roland Sako Lahcen Valéry et les autresje vais vous signifier qu’à mon avisvous êtes aussi importants que moi dans l’histoire de mon humanitédans cette forêt marocainesi belle aux pieds barbelés de cette Europe si froide où je prépare un bon feuet du vin et des dattes et du pain et des chansons pour votre arrivée prochaineamis qui êtes moi-même Serge NoëlBruxelles, le 11 juin 2005 Commentaires !
Bel Younech
on ne sait pas toujours quoi faire quand le printemps s’avance titubantcomme un abruti le nez rouge ivre d’hiver et de tremblement d’aube dans les montagnes on ne sait pas quoi faire dans les rues de Tanger quand la douleur des enfants nus nous éternue à la figureet que les flics ramassent la migration des hommes comme les feuilles mortes sur le pas de la porte des maisons riches on ne sait pas quoi faire de ses mains de son cœur de sa têteon a honte quelque part de marcher dans ces chaussures de bouger dans ces vêtementsde se nourrir à la table de ce restaurantde respirer cet air qui chauffe peu à peu quand le soleil s’empare de la baiefait miroiter la maudite Europe comme un bijou voléon a honte de cette facilité de rire de ce retour bientôtdans cette maison pleine de lumière de couvertures de velours et de livreson ne sait pas quoi faire de ses bras sur quoi les refermer et les mots les mots qui ne sont que souffles entre nous et qui sont larmes de couteau pour eux que faut-il en faire on ne sait pas quoi faire à danser le tango sur cette planète où si peu d’homme sont à manger si peu d’hommes ont tout pour tant d’autres à quile corps les mains le pain les rêvessont refusésau hasard des frontières et dans les cauchemars abscons des Etatsils ont tracé une ligne fantastiqueséparé les vagues hérissé les valléestruffé les plages de pièges à loupc’est leur façon de voir le mondeils sont bien là-dedansau milieu de ces cris de ces tours de gué de ces naufragesjuchés sur leur argent sur leur pouvoir un sceptre de mensonges profondément enfoncé dans le culon ne sait pas quoi faire quand un jeune homme venu de Casablanca dévoile soudain ses blessures et que son cœur aux hanches de larmessoudain s’exhibe pour un geste qu’on a eu un repas un sourire il a vécu trois ans en Italie tu saiscomme un enfant un vrai on l’écoutait on le consolait on lui racontait des histoires le soiret puis il est devenu adulte il a passé cette autre frontière imaginaireque manufacturent les Etats et le lendemain de cet événement imaginaire luin’avait pas changéil avait toujours ce cœurce visage ces rêvesmais on l’a rayé menotté renvoyé dans le port de Tangeroù depuisoù depuisdepuis depuis il se traîne dans la peur la poussière et parmi les violsles coups de matraque les gifles et la faim sans avoir rien compris à ce qu’on lui voulait et puis un jour c’était un mardi on est allé dans une forêtsur la route du nouveau port à cinquante kilomètres dans la montagne mon Dieu la montagne la montagne rousse bruissante craquante la superbe montagne comme une chamelle enceinte de ce pays trop beau pour faire autre chose que du miel il y avait un petit sentier qui grimpait parmi les herbes piquantes les buissons secs le tendre crissement du vent et le ciel épaule nue d’une femme sans lisièresle sentier tout à coup serpentait plongeait ruisselant d’une eau rareet lumineuse collier de pierreries dansantes et puis des hommes qu’on croisait avec des pelles des bidons des bouts de quelque chose avec des regards lents et interrogateurs des hommes tranquilles sans obsession sans fièvre sans convoitisedes hommes qui dégageaient la route des bois morts et dessouvenirs de sang ces hommes on les a vus ils étaient combien cinquante peut-être centils formaient un cercle autour des visiteurs ils offraient des sièges sur des troncs d’arbre des bancs de branchagesils avaient les yeux grands ouverts c’était beauc’était une assemblée humaine dans la forêtd’hommes venus des deux côtés opposés de cette frontière tatouée par les Etats sur la peau des hommeset abolie effacée gommée au moins pour un momentils ont montré les cabanes les tentes de plastique déchiré les haillonsde leurs abris de leurs rêvesils avaient l’air fatiguéet moimoi sous ce ciel épaule de femme qui pleureje me suis senti plus humain dans cette forêt que partout ailleurset comme je les écoutais raconter des histoires de soldatsde meurtres de guerre de ruine de désastrecomme j’écoutais la voix calme et splendide de l’humanité qui me parlaitdes hommes comme je croyais entendre les aboiements des troupes marocaines dans les alentours le claquement des bottines militaires encerclant la forêtcomme on circonviendrait une épidémie d’hommesje me suis senti plus humain que jamais et comme je leur parlais de ce que moi peut-êtreet d’autres peut-êtrepourrions faire pour les défendrepour leur signifier qu’ils sont des hommes avec nous et que je les entendais me remercier je pensais que jamais jamais je ne pourrais leur rendre un centième du cadeauqu’ils venaient de me faire il faisait chaud les mouches fabriquant des tourbillons noirs et grondants autour de nous la montagne immense croupe d’éternité de terre rouge d’arbres durset les colliers des rivières minces et fragiles comme les rêves se quitter j’aurais voulu rester avec vous là dans cette forêt lieu d’humanité comme nulle part ailleursje n’ai plus les détails de notre discussion de combatce n’est pas l’objet de mon poèmece sont leurs visages qui se penchaient leurs yeux calmes à ces hommes que le hasard et l’extravagante manie des Etatsont voué au malheurces yeux qui regardaient une Europe probablement rêvéecomme j’aimerais faire le même rêve qu’euxtout compte fait pourquoi pas et puis je n’ai jamais quitté cette forêt tout compte faitje suis resté avec vous hommes et femmes de Bel Younechqui avez fait brûler mon humanité dans l’air frissonnant de la montagne et puis Bruxellesavec le même printemps abruti et sournoisj’ai parlé de vous à plein de gens les amis etles autres j’ai entendu ce n’est pas nouveau tu débarques ou quoi toute la misère du mondeil y a pire on n’y peut rien etc cette litanie insipide de conneries qui traînent comme des merdes de chien sur les trottoirs de cette pauvre ville où l’humanité se cache si bienmoi j’avais rencontré des hommeson m’a servi des analyses des considérations des contextes moi j’avais rencontré des hommeson m’a fait valoir des réalismes des situations économiques des politiques migratoiresmoi j’avais rencontré des hommesqu’il n’est pas question pour moi d’oublier de perdre de vue de quitter des yeux une seule seconde comme si j’allais perdre ma propre humanité de vueles gars soyons raisonnables de la seule raison possible celle des hommes et comme je ne suis pas le messie ni un dirigeant historique ni un intellectuel prestigieux ni un dignitaire religieux ni un sportif en mal de cause humanitaire comme je ne suis que moi et que je ne peux pas me payer le luxe de me séparerde mon humanitéje vais rester avec vousCissé Pasteur Bernard Camara Roland Sako Lahcen Valéry et les autresje vais vous signifier qu’à mon avisvous êtes aussi importants que moi dans l’histoire de mon humanitédans cette forêt marocainesi belle aux pieds barbelés de cette Europe si froide où je prépare un bon feuet du vin et des dattes et du pain et des chansons pour votre arrivée prochaineamis qui êtes moi-même Serge NoëlBruxelles, le 11 juin 2005 Commentaires !